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Mort dans les vignes : quand la généalogie prend vie

22 novembre 2017

La généalogie a cela de magique. Au détour d’un acte, elle peut prendre vie. Vous travaillez des mois sur un sujet, peut-être abstrait du fait des siècles qui vous séparent de lui, mais il suffit d’une rencontre inopportune au détour d’un registre, pour que tout prenne vie, et que le mort que vous rencontrez prenne de la couleur.

Dominique court à perdre haleine. Le juge Delorey, derrière lui, peine à le suivre. Suant à grosses gouttes malgré l’heure tardive, ce dernier regrette de n’avoir fait seller son cheval. Ce n’est pas tant la distance qui le fatigue, il n’a même pas une lieue à parcourir, que la montée jusqu’aux vignes. Mais le fils à Pierre avait l’air si paniqué, que le juge l’avait suivi sur l’instant.

Dominique ne regarde plus derrière lui. Le juge le suit, il le sait. Dans sa course effrénée, il se repasse en boucle les évènements de la soirée : le souper avec Marguerite, le coucher de Joseph, leur premier fils. Il avait attendu que l’enfant soit paisiblement endormi avant de retourner à son atelier, il voulait terminer cette table commandée par le luthier Claudot. Alors qu’il était en train de vérifier la décoction qu’il utilisera comme vernis, Joseph s’était mis à pleurer, réveillé par les coups incessants sur la porte du logis familial.

– J’arrive ! Ce n’est pas la peine de défoncer la porte !

– Qui est-ce ? Demanda Marguerite d’un ton angoissé.

– Je ne sais pas. Mais il va vite le regretter.

Dominique eu à peine le temps d’ouvrir, qu’un flot de paroles se déversait de l’autre côté du seuil. Il comprit que quelque chose de grave s’était passé.

– Calme toi ! Je ne comprends pas un mot de ce que tu me dis !

– Ton père !

– Quoi mon père ?

– On l’a retrouvé dans les vignes..

Le temps se figea. Il n’en fallut pas plus au menuisier, pour courir frapper à la porte du juge Delorey, et lui intimer de le suivre sur-le-champ. Maintenant qu’il y repensait, il aurait à s’excuser auprès du juge de son ton. On ne donne pas d’ordre à un bourgeois, encore moins quand il s’agit du juge de paix.

Qui aurait pu vouloir la mort de son père ? Alors qu’il arrivait sur les lieux, les suspects se bousculaient dans sa tête. Qui profiterait le plus de sa disparition ? Le fils Nicolas, qui agrandirait ainsi sa portion de vigne, ou le père Jacquot qui récupérerait bien le petit commerce de distillation d’eau-de-vie ?

 

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Cadastre Tableau d’assemblage (1834) ; AD Vosges ; cote 3 P 5244/1

 

À son arrivée, tout le monde se tait. On s’écarte pour le laisser passer. Lentement, il s’approche de son père, s’agenouille à ses côtés, quand il sent une pression sur son épaule. C’est le juge Delorey, qui lui demande de ne pas toucher le cadavre. Il doit être examiné par l’officier de santé.

– Dominique. Tu reconnais ton père ? Pierre Pierre?

– Oui.

– Peux-tu me donner son âge ?

– Vers les soixante et dix ans.

Toute une vie de labeur, qui se termine là, dans les vignes. Dans un silence sépulcral, Dominique ne quitte pas son père des yeux. Alors que ce mois de mai est exceptionnellement doux, faisant craindre un nouvel été caniculaire, comme l’année passée, il ne comprend pas toute cette couche de vêtements. Son père portait son bonnet de poils gris, son habit veste bleue, sa chemise, sa vieille veste de panne, et un gilet de molleton, en plus de sa culotte, et de ses guêtres par-dessus les bas en laine. Pourquoi tant de couches chaudes ?

Etienne Rouyer arrive enfin. Alors qu’il examine le cadavre, les chuchotements reprennent, chacun y allant de son idée sur ce qui a pu se passer. Après avoir examiné le visage et les mains, il retourne délicatement le corps du vieil homme, et inspecte son cuir chevelu, sa nuque, puis il passe en revue les vêtements. Il n’y a pas de doute. Le corps du citoyen Pierre Pierre ne présente aucune trace de violence. Sa mort est naturelle.

Le juge Delorey remercie l’officier de santé, et demande à l’assistance s’il y a eu des témoins de l’évènement. Deux mains se lèvent. Dominique les reconnaît. Il y a le luthier Jean Claude Claude, et le vigneron Louis Paris. Les deux expliquent qu’ils ont croisé le distillateur dans les vignes, le premier vers midi, le second dans l’après-midi. Il s’était plaint aux deux qu’il avait froid, et ne se sentait pas de force. Sur quoi, chacun était retourné travailler dans ses vignes jusqu’à sept ou huit heures. Alors qu’ils s’apprêtaient à partir, ils ont vu le vieil homme au sol. Croyant qu’il dormait, chacun est allé le réveiller, constatant par la même, son décès.

Dominique écoute les deux hommes. Jamais son père ne s’était accordé un instant pour souffler. De la distillerie aux vignes, des vignes à la distillerie. Il ne voulait pas être une charge pour son fils, et refusait obstinément d’aller à l’hospice. Son entêtement aura eu raison de lui.

Après avoir confirmé la mort naturelle, le juge fait remettre le corps à Dominique, pour qu’il puisse s’occuper de l’inhumation. Avant de partir, il lui tend deux petits objets, trouvés par l’officier de santé dans les poches du mort. Dominique les regarde, sourit malgré lui. Il met dans sa poche les deux petites tabatières en carton de son père, vestiges d’une époque révolue.

 

Source : Mirecourt : décès (an VII), cote 4E309/34-49327

Quand la généalogie prend vie

Vous connaissez la sérendipité en généalogie ? L’art de trouver quelque chose qui vous intéresse sans l’avoir cherché. C’est ce qui m’est arrivée avec le décès de Pierre PIERRE. Pierre est le Sosa 800 de ma fille. J’ai découvert son acte de décès grâce à une erreur. Je me suis trompée de registre. J’ouvre une vue au hasard, et ma curiosité est attirée par cet acte très long. Ma surprise fut double à la lecture du document. Non seulement, il concernait un ancêtre, mais sous mes yeux, mes recherches prenaient vie.

Pourquoi parler de mort, et écrire que la généalogie prend vie ? Parce qu’entre 2016 et 2017, à l’occasion du challenge AZ, j’ai fait beaucoup de recherches sur mes ancêtres luthiers. J’ai ainsi appris grâce aux inventaires après décès, que les vêtements pouvaient être faits de panne, et être de couleur bleu, comme la tenue que portait Pierre PIERRE au moment du drame. J’ai également découvert que les luthiers possédaient un lopin de terre, ou quelques vignes, pour améliorer l’ordinaire. Ce qui est le cas du témoin Jean Claude Claude.

Un an de recherches résumé en un acte de décès.

Soyez curieux, trompez-vous, vous ne savez jamais ce qui vous attend au détour d’une page !

 

 

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