Méthode & Organisation

Photos de famille : comment une simple question peut résoudre un mystère

20 août 2013

Vous avez dans des tiroirs, des boîtes archives des vieilles photos que vous chérissez. Si elles donnent du relief à votre arbre généalogique, certaines restent des mystères.

Qui sont les personnes photographiées ? Pourquoi cette photo vous est-elle parvenue ? Avec un peu de méthode, et parfois de la chance, il est possible de trouver des réponses.

Avant toute chose, il faut comprendre que certaines photos resteront des mystères. Qu’il sera impossible de mettre un nom sur des visages ou de situer précisément où la photo a été prise. C’est un fait. Cela est frustrant, je vous l’accorde, mais il faut l’accepter.

Dans mes archives familiales, il y a deux photos qui m’intriguaient particulièrement de part l’émotion qu’elles transmettent et leur présence dans les photos héritées de mon père.

Je vous propose de me suivre pas à pas afin de découvrir ce qu’elles représentent.

 

Ces deux photos étaient dans les papiers de mon père, que ma mère m’a transmises après son décès en 2004. Compte-tenu de son histoire familiale, je situais ces photos vers 1940 (1). J’avais un premier élément de réponse.

Pourquoi cette photo, très puissante, d’une famille éplorée devant quatre casques au sol ? Je ne comprenais pas. Était-ce là où était tombé mon grand-père ? Et pourquoi cette tombe dont le nom de famille n’a aucun lien avec notre généalogie ?

9 ans que ces photos sont en ma possession sans que j’en comprenne le sens réel.

A l’occasion du concours proposé par MyHeritage, auquel j’ai le plaisir de participer, j’ai été amenée à repenser à des vieilles photos de famille que je n’avais pas. J’ai alors posé la question à ma mère, afin de savoir ce qu’elles étaient devenues.

Malheureusement, la plupart d’entre elles ont été perdues ou détruites. Profitant de cette question, ma mère a ressorti toutes les photos en sa possession et nous avons passé l’après-midi à fouiller dans des enveloppes et des pochettes.

Je suis allée de surprise en surprise.

Outre les photos de moi petite qui ont fait le bonheur de ma fille, j’ai découvert des photos de mon père que je ne connaissais pas, dont une photo de lui alors âgé de 18 mois et une autre vers l’âge de 8-10 ans.

Si voir mon père “aussi jeune” fut touchant, j’ai été très émue en découvrant la photo suivante.

 

Mon père, devant la tombe “inconnue”.

 

 

En étudiant cette nouvelle photo un élément a attiré mon attention :

Donc mon grand-père, avant d’être inhumé à la nécropole nationale de Fleury-les-Aubrais, a été inhumé dans cette tombe. Où ? Quel est le lien avec la famille COELORUM ?

Pour remettre les pièces du puzzle dans le bon ordre, je reprends tous les documents en ma possession.

1. Extrait du journal L’Industriel de Louviers du 21 septembre 1940 :

“Au matin du mardi 11 Juin, une avant-garde allemande dévalant le coteau à l’est du pays, pénétra vers 8h30 dans le village où il ne restait que 22 civils. Quelques combats furent engagés entre cette avant-garde et l’arrière-garde française formée par le 4° hussards en position sur la rive gauche de l’Eure. Dans cet engagement 13 français et un lieutenant allemand furent tués par des balles de mitrailleuses et par des obus tirés par quelques canons l’un placé près du bras de l’Eure et à l’endroit où vient se fixer habituellement le bouilleur de crû en bordure de la route d’Ecardenville, un ou deux autres dans un bas-fond de la route de Gaillon entre La Croix et la Boissaie.

Ces soldats furent enterrés près de l’endroit où ils tombèrent  un dans la propriété de Mme Thureau-Dangin, près de l’avenue; deux dans la propriété de M. Cordier à Crèvecoeur, ainsi que le lieutenant allemand. Les autres sur la colline près du chemin de la Kyrielle, ancienne route de Reuilly. Neuf en 2 fosses communes et un isolé un peu plus haut. Ils furent enterrés par quelques civils requis pas les Allemands.

(…)

Le jeudi 22 août, le Lieutenant Guy de Bauregard, tué à la tête par une balle de mitrailleuse et enterré avec 4 de ses hommes dans une des fosses communes, fut exhumé en présence de sa famille et déposé dans un caveau provisoire dans le cimetière (…)”

 

2. Extrait de Evreux et l’Eure pendant la guerre (2) :

“Epuisé et décimé, le 1er Escadron se replis le premier. Le lieutenant de Beauregard se tient, avec son groupe de commandement, auprès de son dernier peloton. Sa marche est ponctuée par les salves de l’artillerie et des minenwerfer

ennemis qui, des pentes sud de Bimorel, suivent à vue les mouvements de nos colonnes. Son premier bond amène le petit détachement à la lisière des bois, où, pris sous une rafale d’obus, il se terre dans des excavations. La salve terminée, le lieutenant de Beauregard ordonne un nouveau bond en avant. Il faut deux pas et, atteint à la tête par un obus, tombe en avant de tout son long, avec le bras allongé, tenant encore son revolver à pleine main. L’adjudant Simard, magnifique soldat d’un dévouement et d’une fidélité incomparables, veut se porter vers lui : il est également tué (…)”

 

3. Dossier de décès n°13886, Ministère des Anciens Combattants et Pensionnés :

“Inhumé le à La Croix St Leufroy – La Kyrielle. Exh et Reinh. au cimetière communal de la Croix St Leufroy. Eure”

 

4. Courrier du Maire de La Croix-Saint-Leufroy à Madame Simard

5. Extrait de La chevauchée héroïque du 4e Hussards (3)

” La tourmente passée, la commune de La Croix-St-Leufroy fit relever les corps des soldats tués et inhumés, en présence du maire, du docteur LEFER, d’un délégué de la Kommandantur, de Messieurs POINTEL, présentant des Anciens combattants de Paris, CHARLES, président des Anciens combattants et mutilés de Rambouillet, DUBOIS, adjudant au 4e Hussards à Rambouillet. Pénible besogne que de retirer un à un les corps, de les mettre en bière et de les transporter au cimetière communal. A cette lugubre tâche, prirent part quelques hommes de La Croix St-Leufroy. Ont été ainsi inhumés : “ROUSSELARD, maréchal des logis-chef, SIMARD, adjudant, BISSON, brigadier, et les cavaliers GARIN, BATAS, UELLEC, PARVERY, MILLOCHEAU, un inconnu ainsi que SIMONOT d’un autre régiment.”

A la lumière de ces éléments, bien qu’il n’y ait pas de certitudes formelles, toutes ces pièces étant des preuves annexes, je pense que la première photo est celle de la fosse commune dans laquelle ont été inhumés mon grand-père, l’adjudant Simard, et le lieutenant de Beauregard.

Ce casque troué serait-il celui du lieutenant de Beauregard ?

Quelle est cette famille présente ? Probablement pas la famille du lieutenant car l’exhumation a eu lieu en août, alors qu’ils sont vêtus de manteaux, écharpes et bottes.

Exhumé en 1941, pour être enterré dans le cimetière communal, il semble avoir été inhumé dans le caveau familial du maire de la commune, R. Coelorum, ce qui expliquerait la photo du caveau.

Des recherches complémentaires dans les archives communales, notamment les compte-rendus des conseils municipaux, pourraient apporter des compléments d’informations.

Il sera exhumé une dernière fois, et inhumé dans sa dernière demeure à la nécropole nationale de Fleury-les-Aubrais.

 

crédit photo R. Simard

 

Les trois enseignements que je retire de cette expérience :

  • Posez les questions tant que les personnes détenant les réponses sont encore à vos côtés.
  • Lisez et relisez tous les éléments en votre possession, un détail qui peut vous paraître insignifiant seul, prendre une toute autre dimension à la lumière de nouveaux éléments.
  • N’abandonnez jamais, une cause qui peut vous sembler perdue peut trouver une réponse des années plus tard.

Si je ne sais toujours pas qui a pris ces photos et les a transmises à ma grand-mère, je sais maintenant ce qu’elles représentent.

 

(1) Retrouvez l’histoire de mon grand-père dans l’article Flipbook présentez votre généalogie autrement.

(2) Evreux et l’Eure pendant la guerre, de A.V.de Walle, éditions Charles Hérissey, chap.II La bataille de la Seine, page 33.

(3) La chevauchée héroïque du 4e Hussards, Brèves pages historiques, Abbé LETORT, mai 1968, page 3.

 

photo credit: pasukaru76 via photopin cc

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  1. La généalogie arrive parfois dans nos vies à des moments où les personnes qui auraient pu nous apporter des réponses ne sont plus là… à nous de reconstituer le puzzle avec les bribes qui nous restent ou que l'on redécouvre. C'est effectivement ce qui est passionnant ! Merci de votre riche témoignage !

  2. Bonjour Ghislaine,<br /><br />Merci pour votre commentaire. <br /><br />Il arrive qu&#39;une photo puisse apporter des informations complémentaires. C&#39;est pour cela qu&#39;il faut les traiter comme des sources et leur porter la même attention; à savoir pour reprendre vos termes : recherche, recoupement d&#39;informations, vérification.<br /><br />J&#39;espère que vos photos vous révèleront de

  3. Merci Sophie pour ce témoignage. Au Canada, les recherches peuvent être différentes, mais tout revient à la recherche, au recoupement d&#39;informations, à la vérification des sources. Je vais regarder mes photos d&#39;un autre œil.<br />Ghislaine Laramée, Montréal, Canada

  4. Bonjour Dominique,<br /><br />Merci pour votre commentaire. <br />Effectivement ce qui rend la généalogie passionnante, à mes yeux, c&#39;est cet aspect investigation.<br /><br />En partageant mon expérience j&#39;espère montrer que la généalogie c&#39;est beaucoup plus que des dates, c&#39;est aussi (re)construire une histoire, son histoire familiale.

  5. Les recherches généalogiques s&#39;apparentent parfois à un travail de détective, c&#39;est sans doute ce qui les rend passionnantes. Vous en faites magistralement la preuve, Sophie. S&#39;y ajoute ici une émotion oh combien compréhensible, merci pour cette belle page.

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