Nous sommes nombreux à mener nos recherches généalogiques avec un fond sonore. Certains pourront passer presque plus de temps à choisir l’ambiance musicale parfaite, qu’à préparer leurs recherches ! La musique peut aussi être importante dans la généalogie, en tant que source.
Je ne cesserai jamais assez de le répéter, il n’y a pas que trois actes en généalogie ! D’autres documents peuvent nous aider à progresser dans nos recherches, ou nous donner l’envie d’en savoir plus, d’aller plus loi. Parmi elles, il y a bien sûr, les photographies, les papiers de famille.
Après avoir lu cet article, vous y ajouterez à votre liste de documents à regarder d’un œil neuf, la musique, et plus particulièrement, les disques.
De la généalogique à la musique, ou de la musique à la généalogie ? Je vous propose de découvrir la passion de Thomas Henry.
Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Thomas Henry, j’ai 35 ans et je vis à Paris. Je suis passionné par l’histoire de l’enregistrement sonore et je collectionne les disques 78 tours, les ancêtres des disques vinyles produits jusqu’au milieu des années 50 et que l’on jouait sur les vieux phonographes et gramophones. Je tente de valoriser ma collection au travers d’un blog, Ceints de bakélite, que j’ai créé il y a un peu plus de 5 ans. Je mène en parallèle des recherches sur l’histoire des vendeurs de disques et de cylindres phonographiques à Paris depuis la fin du XIXe siècle. Ce travail a trouvé son aboutissement dans Disquaires de Paris, une cartographie interactive que j’ai réalisée avec l’aide d’un ami développeur et graphiste. A partir de recherches faites dans Gallica et aux Archives de Paris, j’ai tenté de recenser et de documenter l’ensemble de ces commerces, en me concentrant sur les premières décennies de l’industrie phonographique. J’ai également été aidé dans ce projet par de nombreux collectionneurs qui ont bien voulu partager leurs documents avec moi.
Après avoir travaillé plusieurs années dans le milieu de la communication et du web, j’ai décidé de me reconvertir professionnellement il y a un peu plus d’un an pour essayer de vivre de ma passion. Je travaille désormais à mon compte et je réalise des missions de valorisation de fonds d’archives sonores pour des institutions. Je fais également partie de l’équipe du Phono Museum, un musée privé consacré à l’histoire de l’enregistrement sonore qui se trouve dans le 9ème arrondissement de Paris.
Comment, et pourquoi es-tu venu à t’intéresser aux 78 tours ?
Il y a toujours eu des disques chez mes parents, j’ai des souvenirs assez anciens liés à la musique mais aussi aux disques et à la platine en tant qu’objets, tout cela avait quelque chose de fascinant. J’ai commencé à acheter des vinyles sur les brocantes quand j’étais adolescent mais c’est un peu plus tard que je me suis mis à vraiment les collectionner.
Le déclic, c’est un séjour de quelques mois en Ethiopie à la fin de mes études, en 2005. J’étais à Addis-Abeba pour faire des recherches sur la musique éthiopienne et j’ai occupé l’essentiel de mes week-ends à essayer de trouver les sacro-saints 45 tours produits à la fin des années 60 et au début des années 70 dans ce pays et qui sont très prisés par les collectionneurs. Après presque trois mois de recherche et de déambulation à travers la ville, j’en ai finalement trouvé une petite pile chez un marchand. Difficile de décrire ce que j’ai ressenti lorsque ce dernier les a sortis d’une vieille valise et m’a demandé si c’était ce genre de disques que je recherchais. Cette expérience a été déterminante pour la suite. Je pense d’ailleurs que tous les collectionneurs ont le même type d’anecdotes à raconter, avec un événement fondateur comme celui-ci.
Mon intérêt pour les disques 78 tours est venu plus tard, en creusant l’histoire de certaines musiques et en réalisant qu’il existait un patrimoine sonore gigantesque et assez peu documenté datant de l’ère pré-vinyle, notamment en Afrique. J’en avais récupéré un lot que je ne pouvais alors pas écouter, faute de matériel adapté. Je me suis finalement décidé à investir et le coup de foudre a été immédiat dès la première seconde d’écoute. Le son très particulier des disques 78 tours, les voix parfois lointaines, le bruit de fond qui les recouvre souvent, il y avait quelque chose de magique là-dedans.
Comment utilises-tu la généalogie dans tes recherches ?
Lorsque l’on fait des recherches sur un artiste, une maison de disques, une salle de spectacle ou un commerce et que l’on ne trouve rien sur le web, l’idée de retrouver des descendants pour récupérer des informations ou des copies de documents apparaît souvent comme une piste alternative. C’est une méthode que je n’ai utilisée pour le moment que pour Disquaires de Paris. Je suis tout simplement reparti de la liste des différents marchands que j’avais identifiés aux Archives de Paris, et j’ai commencé à les rechercher un par un dans Geneanet. Je n’en suis encore qu’au début car c’est un travail long et fastidieux mais j’ai déjà obtenu des résultats assez satisfaisants. En retrouvant certains commerçants sur le site et en contactant leurs descendants, j’ai réussi à récupérer un certain nombre de documents totalement inédits, dont des photos de l’intérieur des boutiques.
Je me suis également beaucoup servi de Gallica au cours de mes recherches. Le fonds de presse ancienne numérisée m’a en effet permis d’identifier de nombreux commerces et d’affiner la datation de leur activité
Comment les disques peuvent être source généalogique ?
On peut mettre la généalogie au service d’une recherche sur les disques, mais cela fonctionne effectivement dans l’autre sens également. Il y a plein d’informations à tirer d’un disque retrouvé dans le grenier ou la cave d’un ancêtre. Il témoigne bien sûr des goûts musicaux et de l’origine d’une personne ou d’une famille, mais il peut fournir d’autres éléments permettant parfois de retracer son parcours. A l’époque du 78 tours, les marchands collaient souvent des vignettes à leur effigie sur l’étiquette des disques, ces publicités pouvaient aussi prendre la forme d’une pochette illustrée. Dans les deux cas, ces témoignages visuels permettent de déterminer la ville dans laquelle le disque a été acheté. Croisés avec la date approximative de sortie du disque (information qui peut être plus difficile à trouver et qui nécessite quelques recherches), ces indices peuvent servir de repères historiques et géographiques dans la biographie d’un ancêtre.
Ces témoignages sont parfois plus personnels. On tombe parfois sur des enregistrements privés réalisés par des particuliers à leur domicile, souvent pour des occasions spéciales (un anniversaire, un repas de Noël etc…). On y entend des voix, la plupart du temps anonymes, dont je me demande à chaque fois à qui elles peuvent appartenir. On trouve également des petits-mots griffonnés sur la pochette des disques, parfois une date, ou tout simplement des noms. Autant de petits éléments qui peuvent servir d’indices pour les généalogistes-détectives.
As-tu un projet en cours ?
Je travaille sur une nouvelle version de Disquaires de Paris, accompagnée d’une synthèse du projet. Il y a beaucoup de choses à raconter sur l’histoire de chaque commerce, sur la base des documents que j’ai collectés, mais la carte permet de tirer d’autres enseignements, notamment sur la géographie des commerces à Paris et sur l’évolution de certains quartiers. On envisage par ailleurs de développer une version élargie du site qui serait basée sur les collections du Phono Museum et qui intégrerait également les salles de spectacle, les éditeurs de musique, les fabricants de phonographes, les luthiers etc… Un énorme travail en perspective. A plus long terme, j’aimerais faire quelque chose autour des collectionneurs de 78 tours. J’en ai rencontré un certain nombre ces dernières années, dont certains commencent à être âgés. Tous possèdent un savoir immense dans leurs domaines et des tonnes d’anecdotes à raconter. Ce sont des choses que je voudrais enregistrer, il ne faut pas que ça se perde.
Merci à Thomas pour cette passionnante découverte. Nul doute, que nous allons replonger dans nos vieux vinyles, à la recherche de messages cachés !
Tout est fantastique ici! un tres beau projet et un interview fascinant.
Jann Pasler