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Le médecin vérificateur des morts

17 novembre 2024

À partir de 1800, face aux craintes d’inhumations précipitées, la ville de Paris instaure un service de vérification médicale des décès. Ce rôle, assuré par des “médecins vérificateurs”, visait à confirmer le décès avant toute inhumation, garantissant ainsi la sécurité des défunts et la tranquillité de leurs familles.

Dans nos recherches généalogiques, nous avons l’habitude de lire en bas de l’acte de décès “et après nous en être assurés”, apposé par le Maire ou l’officier d’état civil. Toutefois, la réalité de la constatation du décès varie selon la taille de la commune et la cause du décès.

Or, la peur des inhumations prématurées, où des personnes seraient enterrées alors qu’elles sont en état de mort apparente, a conduit à la création d’un service de vérification médicale des décès à Paris dès 1800. En effet, il paraissait risqué de se fier uniquement aux déclarations de proches ou de voisins du défunt, qui n’avaient pas la formation nécessaire pour s’assurer de la mort.

Création du poste de médecin vérificateur des morts

Le contexte légal et l’arrêté du préfet Frochot

En 1804, le Code civil introduit l’obligation de vérifier les décès avant toute inhumation, précisant dans son article 77 qu’il faut attendre au moins 24 heures :

aucune inhumation ne sera faite sans une autorisation sur papier libre, et sans frais, de l’officier de l’État civil, qui ne pourra s’être transporté auprès de la personne décédée, pour s’assurer du décès, et que 24 heures après, hors les cas prévus par les règlements de police. (De La Vérification Légale des Décès Dans la Ville de Paris, et de la Nécessité D’apporter Dans Ce Service Médical Plus de Surveillance et Plus D’extension, par C.-F. Tacheron, 1830, p. 4).

Toutefois, les maires, souvent non médecins, ne possédaient pas les compétences nécessaires pour vérifier un décès. L’article 81 prévoit ainsi qu’ils puissent déléguer cette tâche à des médecins en cas de doute. C’est dans ce cadre que le préfet Frochot, le 13 octobre 1800, publie un arrêté pour instaurer un service de vérification des décès, afin de prévenir les inhumations prématurées :

considérant que la simple déclaration faite par les parents ou voisins est insuffisante, puisqu’ils ne peuvent également attester un décès dont ils ne peuvent administrer par eux-mêmes, aucune preuve indubitable.

Le développement du service de médecin vérificateur des morts

En 1806, un arrêté stipule que les vérificateurs des décès doivent être des docteurs, sélectionnés parmi les médecins les plus anciens des bureaux de bienfaisance. Ce choix privilégiant des médecins âgés peut poser problème, notamment en cas d’épidémie, à cause de la charge de travail conséquente. En 1866, le Ministère de l’Intérieur incite les autres départements à adopter des services similaires, mais seuls treize services municipaux de vérification des décès verront le jour dans les grandes villes avant le 20e siècle.

En 1889, les autorités créent des « délégués aux incinérations » pour vérifier le caractère naturel de la mort avant l’incinération du corps, garantissant ainsi que le décès est confirmé avant toute destruction.

Le danger de la mort apparente : moyens sûrs & infaillibles à la portée de tous pour ne pas être enterré vivant, méthodes du Dr Séverin Icard,. . . (s. d.-b). Gallica.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k943970t/f23.item

Les missions du médecin vérificateur

Déclaration et constat du décès

Les familles endeuillées devaient déclarer le décès à la mairie, qui, deux fois par jour, informait les médecins vérificateurs. Mandaté par le maire, le médecin se rendait au chevet du défunt pour confirmer la mort. Ce constat, qui pouvait nécessiter des visites répétées, était d’abord rapporté oralement au maire. Il a ensuite évolué en un document écrit, avec des détails comme le nom, l’âge, l’adresse, et des précisions sur la cause et les circonstances du décès.

Outre les rubriques apparemment déjà fournies nom, âge, sexe, domicile et état marital du décédé, différentes rubriques viendront s’ajouter :

  • la profession ;
  • la date du décès, mois, jour et heure ;
  • le quartier, la rue, le numéro du domicile, l’étage et l’exposition du logement ;
  • la nature de la maladie, et (s’il y a lieu) les motifs qui peuvent occasionner l’ouverture du cadavre ;
  • les causes antécédentes et les complications survenues ; la durée de la maladie, les noms des personnes (ayant titre ou non) qui ont fourni les médicaments.

Rôle de santé publique et secret médical

En remplissant ces certificats de décès, le médecin vérificateur contribuait à la surveillance de la santé publique. Cependant, la divulgation de la cause du décès pose la question du secret médical, surtout dans les petites localités, rendant le médecin vérificateur parfois mal perçu. C’est pour cela que les autorités mettent en place un double certificat, en partie anonymisé, pour les statistiques.

Les différences entre Paris et la Province

Les autorités organisent le service de vérification par arrondissement dans les grandes villes comme Paris, ce qui facilite la gestion du personnel. Cependant, en province, et notamment dans les zones rurales, l’étendue géographique rend difficile la vérification systématique des décès.

Un rapport présenté au Conseil d’hygiène et de salubrité du département du Calvados précise :

Dans les autres localités, et particulièrement dans les campagnes, la population est disséminée sur une surface qui est souvent très-grande et dépourvue de moyens faciles de communication, de sorte que c’est bien moins d’après le chiffre de cette population que d’après l’étendue des espaces à parcourir, que Ja circonscription des médecins vérificateurs spéciaux nous paraît devoir y être déterminée. (Rapport Fait Au Conseil D’hygiène et de Salubrité du Département du Calvados et de L’arrondissement de Caen, Dans les Séances du 19 Mars et du 11 Juin 1857 Au Nom D’une Commission de Ce Conseil. . . : Questions Relatives À la Constatation des Décès & de Leurs Causes : Hygiène Publique / Par le Dr J. le Bidois,. . ., 1858, p. 19)

L’impact sur les familles du défunt

Les familles doivent suivre certaines directives, telles que ne pas déplacer le corps, ne pas couvrir le visage, ou éviter des objets lourds sur le corps du défunt. Ces précautions, bien que nécessaires pour garantir la vérification, sont souvent mal comprises et mal acceptées (Devoirs des Maires En Temps D’épidémie… par Edmond Pascal, 1884, p. 105‑106).

Le médecin vérificateur n’est pas toujours bien accueilli par les familles endeuillées, qui se montrent souvent réticentes à le laisser manipuler le corps du défunt. En effet, dès la mort déclarée, malgré les prescriptions, les proches s’empressent généralement de vêtir et de parer le cadavre, rendant les manipulations difficiles ou délicates.

À l’inverse, dans certains cas, les familles se plaignent de vérifications trop rapides. Elles reprochent aux médecins de négliger l’examen en se contentant d’un passage rapide pour signer le certificat.

Surveillance et inspection des vérificateurs

Pour garantir la qualité de leur travail, le préfet Rambuteau crée en 1839 un Comité d’inspection. Ce comité est composé du préfet, de conseillers municipaux, de maires, du doyen de la Faculté et de médecins “notables”. Ils effectuent des visites au hasard et recueillent les réclamations des familles des défunts. Leurs rapports mensuels à la Préfecture dénoncent les négligences, telles que les retards ou les vérifications bâclées (Devoirs des Maires En Temps D’épidémie : Lois, Décrets, Arrêtés, Instructions du Conseil D’hygiène, Ordonnances du Préfet de Police, Prescriptions, Mesures Préventives À Prendre… par Edmond Pascal, 1884, p. 105‑106).

Les visites répétées du médecin vérificateur, parfois suivies de contre-visites des inspecteurs, peuvent peser lourdement sur les familles. On imagine facilement l’impact émotionnel de ces démarches.


Sources

  • Carol, A. (2001). Le médecin des morts a Paris au XIXe siècle. Annales de Démographie Historique, 127(1), 153‑179. https://doi.org/10.3917/adh.127.0153
  • De la vérification légale des décès dans la ville de Paris, et de la nécessité d’apporter dans ce service médical plus de surveillance et plus d’extension . Par C.-F. Tacheron,. . . (1830). Gallica. https://c.bnf.fr/V1v
  • Des signes de la mort et de la vérification des décès à Paris / par M. le docteur Louis de Seré,. . . (1869). Gallica. https://c.bnf.fr/V1j
  • Devoirs des maires en temps d’épidémie : lois, décrets, arrêtés, instructions du conseil d’hygiène, ordonnances du préfet de police, prescriptions, mesures préventives à prendre. . . / réunis par Edmond Pascal,. . . (1884). Gallica. https://c.bnf.fr/V1m
  • Icard. (1903). Annales d’hygiène publique et de médecine légale : Les prescriptions légales et les mesures administratives en France pour éviter le danger de mort apparente. Bibliothèque Interuniversitaire de Santé, Paris. https://www.biusante.parisdescartes.fr/histmed/medica/page?90141x1903x50&p=391 p. 391-423
  • Le danger de la mort apparente : moyens sûrs & infaillibles à la portée de tous pour ne pas être enterré vivant, méthodes du Dr Séverin Icard,. . . (s. d.-c). Gallica. https://c.bnf.fr/V1N
  • La constatation des décès : ce qu’elle est, ce qu’elle devrait être / par le Dr C.-É. Bourdin,. . . (1879). Gallica. https://c.bnf.fr/V1s
  • Menapace, L. (2024). Enterré vivant : mort apparente et enterrement précipité. L’Histoire À la BnF. https://doi.org/10.58079/12gc9
  • Notice sur les indigens de la ville de Paris ; suivie d’un Rapport sur les améliorations dont est susceptible le service médical des bureaux de bienfaisance / fait au nom d’une commission par François Leuret,. . . (1836). Gallica. https://c.bnf.fr/V1p
  • Précis de médecine légale. Tome 1 / par L. Thoinot,. . . (1913). Gallica. https://c.bnf.fr/V1B
  • Rapport fait au Conseil d’hygiène et de salubrité du département du Calvados et de l’arrondissement de Caen, dans les séances du 19 mars et du 11 juin 1857 au nom d’une commission de ce Conseil. . . : questions relatives à la constatation des décès & de leurs causes : hygiène publique / par le Dr J. Le Bidois,. . . (1858). Gallica. https://c.bnf.fr/V1y

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  1. Au début des années 1970, jeune interne en médecine, lors d’une de mes premières gardes de fin de semaine, j’ai eu la surprise d’être appelé par le service de médecine de garde, pour prendre en charge un homme amené par le service des pompes funèbres, qui se serait rebellé in-extremis avant la fermeture de son cercueil, alors qu’un certificat médical aurait été établi dans les règles de l’époque sur le document bleu , attestant et datant son décès (réel et constant), et en précisant la ou les causes sur le volet confidentiel destiné exclusivement à l’administration de la santé publique.
    Je crois que cet homme n’a eu qu’un sursis n’ayant pas excédé une dizaine de jours.

    1. Merci Michel pour ce commentaire surprenant et venant étayer ce billet de blog. J’imagine la frayeur et de l’individu et des personnes procédant à la fermeture du cercueil.
      Dans un tel cas, je suppose qu’une procédure administrative est lancée pour comprendre ce qui s’est passé ?

      1. Bonjour,
        Dans ce cas il est clair que le médecin n’aurait pas du certifier que “la mort était réelle et constante .” L’erreur est humaine et certainement involontaire.
        Pour la suite si aucune plainte n’est déposée il n’y a probablement pas d’enquète.

  2. À nouveau, la règlementation vient d’évoluer : devant la raréfaction des médecins sur le territoire, une expérimentation autorisant les infirmiers à signer des certificats de décès a été lancée cette année.
    Merci pour votre article riche en références.

  3. Bonjour madame
    Merci beaucoup pour cet article à propos d’une fonction que je ne connaissais pas.
    Ainsi que pour les sources indiquées.
    J’ai une question peut on retrouver les avis de ces “vérificateurs” aux archives?
    Merci de la réponse que vous pourrez me donner.
    Cordialement

    1. Bonjour,
      Merci pour votre commentaire.
      Il ne semble pas que ces avis aient été conservés. On peut en retrouver quelques uns par hasard, laissés dans les registres. Pour ma part, je n’en ai vu qu’une fois, dans un registre conservés aux archives municipales.

    2. Bonjour,
      Normalement les avis , du moins dans les siècles récents, étaient rédigés au moins en deux parties (ou volets) , présumés indépendants.
      -Un volet administratif reprenant ce que le médecin rédacteur pouvait constater de l’état-civil du présumé défunt.
      -Un volet médical exposant la possible cause du décès et les pathologies ayant pu le faciliter.
      Une conclusion autorisant ou interdisant certains gestes dont:
      .Mise en bière immédiate,
      .Don du corps,
      .Soins conservateurs posthumes…
      .Transport avant mise en bière,…
      cette liste n’étant pas limitative et ayant beaucoup évolué au fil du temps et de l’évolution des techniques médicales, notamment en ce qui peut concerner la conduite à tenir en présence de dispositifs implantés.

      Le volet médical était anonymisé et réservé à une exploitation épidémiologique confiée aux services relevants du ministère de la santé.
      Si ce certificat n’était pas délivré la justice et/ou la médecine légale devaient alors intervenir , avant toute inhumation ou autre manipulation su corps du défunt.

      Au final, les données administratives sont accessibles à tous ; les données médicales sont en principe réservées à des fins statistiques et épidémiologiques et sont normalement toutes anonymisées.

  4. bravo, je ne connaissait pas ce métier mais souvent j’ai mis en doute la mention selon laquelle l’officier d’état-civil aurait procédé à la constatation du décès
    merci

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