Général Goupil

Accoucher par césarienne au 18e siècle

31 octobre 2024

Au 18e siècle, accoucher était un acte périlleux, et la césarienne, ultime recours, représentait pour les femmes un risque immense. Bien loin des pratiques médicales modernes, cette opération était réalisée dans des conditions rudimentaires, entourée de croyances religieuses dictant le salut des âmes avant tout. À travers l’histoire de Perrine Goupil, découvrez comment se déroulait une césarienne, où chaque geste, chaque décision, pouvait sceller le destin de la mère et de l’enfant.

Perrine Goupil est née le 17 janvier 1756 à Livré-sur-Changeon (35). Le 31 janvier 1785, elle épouse François Gieu à La Bouëxière. Bien que n’ayant aucun lien de parenté avec ma branche Goupil de La Bouëxière, son acte de sépulture a attiré mon attention par sa longueur inhabituelle. En effet, les curés de cette paroisse ne s’étendent que rarement en détails dans leurs registres. Alors, pourquoi, en ce 4 août 1786, le recteur Rivet a-t-il pris le temps de rédiger un acte aussi détaillé ?

Acte de sépulture de Perrine Goupil, opérée par césarienne

Le corps d’h[onnê]te femme Perrine Goupil native de LIvré, epouze de François Gieu, agée de 32 ans, decedée à Bellevüe le trois aout mil sept cent quatre vingt six ; enseinte d’environ sept mois, immediatement après son decès, on a eu ; par le moyen de l’operation cezarienne ; un enfant femelle qui a été baptisé sous condition, aussitôt après sa naissance, qui, à ce qu’on croit, a bougé pendant la ditte operation cezarienne, faite en ma présence, par le Sieur Jean Guillet, M[aîtr]e en chirurgie, lequel enfant n’a donné aucun signe certain de vie après être sorti du seing de sa mere, au jugement du dit Sieur Guillet soussigné. Le dit enfant inhumé avec sa mere, le 4e dudit mois d’aout. Present lors de la sepulture, François Gieu, son mari, Nicolas Douard, Nicolas Goupil et autres qui n’ont signés. en ma presence en interligne, enfant egalement en interligne.

Accoucher par césarienne au 18e siècle

Origine du mot césarienne

S’il est commun de penser que le mot césarienne viendrait de la naissance de Jules César par césarienne. Cette histoire répétée par Pline l’Ancien est peu probable. Il est plus probable que l’étymologie dérive du latin caesar, du verbe caedere ( « couper », « inciser » ).

La césarienne au 18e siècle : témoignage de Samson Guenin

Dans son Histoire de deux opérations faites par césarienne faite avec succès, le chirurgien Samson Guenin, revient longuement sur l’histoire de la pratique. Ainsi, selon lui, les accouchements par césariennes étaient plus nombreux que nous pourrions le penser. En effet, les Mémoires de l’Académie de Chirurgie citent depuis 1500 jusqu’en 1746 inclusivement plus de 60 accouchements par césarienne (Guenin, p. 34).

Description d’une césarienne opérée par Guenin

Les outils médicaux de l’époque

Après accord de la parturiente et de sa famille, Guenin prépare ses outils qui consistent en :

  • aiguilles enfilées d’un cordonnet, fait de plusieurs brins de fil tortillé, ciré et enduit par-dessus la cire d’un peu de suif, pour le rendre plus, coulant ;
  • un bistouri droit,
  • deux compresses quarrées
  • une longitudinale,
  • du vin chaud,
  • du linge fin, faute d’épongé, pour essuyer le sang
  • des serviettes doublées quarrément,
  • une bande longue de quatre aulnes (environ 4,7 mètres), large de quatre doigts environ, roulée à double chef, & percée dans son milieu, pour la rendre unissante,
  • du feu près le lit dans un réchaud, outre celui de la cheminée ,
  • d’eau de vie & du vin versés dans des tasses
  • un bouillon prêt à prendre,
  • le lit garni de linge.

Le déroulement de l’opération

Guenin réalise l’opération en 20 minutes, assisté d’une sage-femme et d’une voisine paysanne. La patiente, couchée sur le dos et légèrement penchée à l’opposé de la césarienne, est préparée avec une demi-chemise ouverte à l’avant, le col et le sein bien couverts. À noter que l’anesthésie par chloroforme ne fut appliquée pour la première fois qu’en 1847, et Guenin ne mentionne aucune aide pour soulager la douleur durant l’incision, l’extraction et la fermeture. Le vin tiède sert à nettoyer les parties opérées, tandis que l’eau-de-vie et le vin restant nettoient la plaie de la suture. La plaie est ensuite resserrée avec les bandes citées plus haut.

Les soins post-opératoires

Après l’opération, la mère suit un régime strict à base de bouillon et de tisane. Pour soulager les douleurs abdominales, un cataplasme est appliqué, composé de feuilles et fleurs de mauves, de guimauve, de mercuriale, de camomille, et d’huiles de lys, d’olive et de millepertuis. Cependant, l’opération entraîne des complications comme des abcès et des fièvres, qui semblent se résorber au bout de 12 jours, moment où la suture est retirée. La patiente se lève au 19e jour.

Comparaison avec d’autres pratiques : le cas de Ruleau en 1689

Guenin compare sa méthode avec celle décrite par un certain Ruleau, qui pratiqua une césarienne en 1689. Le premier point de cette description est le suivant :

“Situer la Malade sur le bord du lit, lui faire lier fortement les jambes et les pieds & les faire tenir par deux personnes robustes, ainsi que ses mains.”

Les sept points suivants (Guenin, p. 57) indiquent que l’incision se faisait alors au rasoir, dans des conditions encore plus brutales que celles de Guenin.

Le débat médical autour de la césarienne

Dès 1733, une délibération des Docteurs en théologie de l’Université de Paris, datée du 20 mars 1733, revient sur l’utilité de la césarienne

(…) l’on peut se servir de l’Opération Césarienne, lorsqu’on a une espérance bien fondée de sauver par ce moyen, la mère et l’enfant. (Guenin, p. 82‑84).

Une nuance est apportée selon les cas d’accouchements difficiles. En effet, si la césarienne permet de sauver l’enfant, mais met la vie de la mère en danger, alors il est plus important de sauver l’enfant.

Les critiques de la pratique

Toutefois, certains chirurgiens s’opposent à la césarienne. Le citoyen Sacombe, médecin accoucheur de la faculté de Montpellier et fondateur de l’école anti-césarienne, critique cette pratique. Il la considère comme une imposture permettant aux médecins d’abuser de pauvres gens ou servant à masquer un avortement. Le 28 novembre 1799, il adresse une protestation contre un arrêté de la Société de Médecine de Paris, intitulé Recherches et réflexions sur l’Opération Césarienne, etc.

Ondoyement fait à l’enfant aussitost sa naissance quand on le trouve en danger de mort –
BIU Santé Médecine https://www.biusante.parisdescartes.fr/histmed/image?CISB0806

Le baptême sous condition

L’enfant de Perrine Goupil a été baptisé sous condition. C’est une mention que nous rencontrons régulièrement dans les registres. Mais qu’implique exactement cette pratique ?

Quand on baptise quelque enfant à la maison, les personnes qui sont présentes doivent regarder attentivement celle qui baptise, pour voir si elle ne manque à rien, ensuite dire au Prêtre tout ce qui s’est passé, et la personne qui a baptisé doit être la première à avertir si elle a manqué à quelque chose, ou si elle en doute, afin que si l’enfant vit encore, on puisse réparer la faute en le baptisant sous condition. (François-Yves & Moye, s. d., p. 391)

Les débats théologique autour du baptême des enfants in utero

La question du baptême sous condition est débattue depuis longtemps. Selon Saint Thomas d’Aquin, “les enfants, dans le sein de leur mère, n’étant pas nés, ne peuvent être comptés parmi les autres hommes”. Par conséquent, l’Église considère qu’ils ne peuvent bénéficier d’actions extérieures comme le baptême. Toutefois, une consultation des Docteurs en théologie de la Sorbonne nuance cette interprétation : les propos de Saint Thomas indiqueraient non pas une interdiction, mais un doute sur la possibilité d’un tel acte.

Dans certains cas, les Docteurs de la Sorbonne considèrent qu’il faut donner la priorité à la survie de la mère ; dans d’autres, ils estiment qu’il vaut mieux sauver l’enfant, notamment pour lui conférer le baptême et ainsi préserver son âme. Cette doctrine suggère même l’utilisation d’une canule pour injecter l’eau bénite sur un membre de l’enfant tiré partiellement en dehors du corps de la mère (Histoire de Deux Opérations Césariennes Faites Avec Succès, par M. Guenin, s. d., p. 81).

L’importance du baptême selon Jean-Martin Moye

En 1764, Jean-Martin Moye, vicaire de Saint-Croix à Metz, souligne l’importance du baptême pour le salut des âmes. Il rappelle qu’il est de la responsabilité de tous — prêtres, sages-femmes, parents, amis — de veiller à ce que chaque enfant reçoive le baptême. Moye déplore que de nombreux enfants, notamment ceux issus de fausses-couches ou de mères décédées en couches, meurent sans avoir été baptisés faute d’intervention rapide. Il plaide pour la présence de personnes formées au sacrement dans chaque communauté, citant un décret de 1742 de l’évêque de Catane en Sicile qui le recommandait.

Pour Jean-Martin Moye, il est essentiel de ne pas présumer de la mort de l’enfant même en l’absence de signes de vie, et, dans le doute, de le baptiser sous condition. Il regrette vivement qu’en cas de fausse-couche, certaines femmes jettent le fœtus, lui retirant ainsi toute possibilité d’être baptisé.

Les instructions du Rituel Romain pour le baptême post-mortem

Le Rituel Romain, recueil officiel de l’Église, stipule qu’en cas de décès d’une femme enceinte, une césarienne doit être pratiquée immédiatement, même en cas de grossesse incertaine. Si la famille s’oppose, un magistrat peut ordonner l’intervention. Ce rituel précise également que l’enfant doit être immergé dans de l’eau tiède et, si nécessaire, dégagé de toute membrane qui empêcherait le contact direct de l’eau bénite avec la peau.

Inhumée avec son enfant

Il est rare de rencontrer la mention d’une inhumation conjointe dans les actes de sépulture. Les familles nobles ou aisées disposaient parfois de plus de latitude pour demander ce type de sépulture, notamment dans des chapelles privées. Cependant, pour la majorité de la population, les pratiques funéraires ordinaires de l’époque restaient la norme, impliquant généralement des sépultures séparées pour la mère et l’enfant.

Néanmoins, si l’enfant avait reçu le baptême avant son décès, les chances d’une sépulture conjointe étaient plus élevées. En effet, selon une pratique répandue, “on ne sépare pas de sa mère défunte en le mettant au monde, le corps d’un enfant mort-né.” Souvent, d’ailleurs, l’enfant était placé dans le même cercueil que la mère pour reposer à ses côtés (Meurice, 1955, p. 132).

Conclusion

L’histoire de Perrine Goupil révèle les pratiques médicales et les enjeux spirituels de l’époque. La césarienne, pratiquée dans des conditions précaires, symbolise le courage des femmes qui devaient faire face à des opérations extrêmement risquées, sans garantie de survie.

Loin d’être un simple acte, son acte de sépulture témoigne des liens entre foi et vie quotidienne pour les familles de cette époque. Ce document rare et détaillé nous rappelle combien les registres paroissiaux sont des témoins précieux, conservant la mémoire d’histoires personnelles.


Sources

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  1. Bravo pour cet article très intéressant et très bien documenté. La césarienne pratiquée à l’époque était une épreuve effrayante pour les femmes. Merci pour l’éclairage sur le baptême sous condition. Une belle pépite cet acte de décès.

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