Pierre Goupil, enrôlé à 18 ans, est confronté dès ses premiers mois sur le front aux rigueurs des combats. De l’offensive de Champagne aux tranchées de Verdun, il endure les blessures physiques et psychologiques de la guerre. Cet article retrace son parcours, de ses premières blessures à ses mois de convalescence, illustrant le quotidien éprouvant des soldats de la Première Guerre mondiale.
Pierre Marie François Goupil, né le 9 décembre 1897 à La Bouëxière (Ille-et-Vilaine), est issu d’une famille d’agriculteurs. Orphelin dès son adolescence, il perd son père en 1911, suivi de sa mère en 1917. Dans le recensement de 1911, Pierre, âgé de 13 ans, est domestique agricole chez Jean Bagot, au hameau de La Havardière. En 1916, sa fiche matricule indique qu’il est « chargeur des postes », un métier qu’il exerce avant son incorporation militaire.
Le 1er octobre 1916, à seulement 18 ans, Pierre Goupil est enrôlé dans le 136e régiment d’infanterie à Saint-Lô (Manche). Comme de nombreux jeunes hommes de sa génération, il voit son âge d’incorporation avancé : la classe 1917 est appelée un an plus tôt, en raison des lourdes pertes que subit l’armée française. Ce besoin urgent de renforts oblige la mobilisation précoce de soldats, souvent encore adolescents, pour maintenir les rangs sur le front.
Les soins des blessés en 1917-1918
Dans ce contexte, les blessures sur le champ de bataille sont fréquentes, et les soins, bien que prodigués avec dévouement, sont souvent précaires. Pierre, comme beaucoup de ses camarades, connaît la dure épreuve des blessures de guerre. Lorsqu’un soldat est touché, il est d’abord évacué vers le poste de secours divisionnaire, soit par ses propres moyens, soit transporté par d’autres soldats. C’est là qu’il est trié en fonction de la gravité de ses blessures et, si nécessaire, transporté en camion-ambulance. Pour apaiser les souffrances, des injections de morphine ou d’huile de camphre sont administrées.
Les soldats sont ensuite dirigés vers l’hôpital d’orientation des étapes (HOE), situé à 15 ou 20 kilomètres du front, où les soins plus lourds, y compris les interventions chirurgicales, peuvent être réalisés. La dernière étape est souvent le centre de convalescence, situé à l’arrière du front, où les soldats passent de longues semaines à se remettre de leurs blessures avant d’éventuellement retourner au combat.
1 septembre 1916 – 10 septembre 1917 : Les débuts militaires de Pierre Goupil
Pierre Goupil incorpore le 136e régiment d’infanterie le 1 septembre 1916. Il resta cantonné à Saint-Lô pendant toute sa période au 136e (intérieur, campagne simple).
Dès le 25 janvier 1917, il est hospitalisé à Coutances pour courbatures et fébrilité. 25 jours plus tard, il est transféré à l’hôpital complémentaire n°2 de Saint-Lô. Il part ensuite en convalescence du 24 février au 15 mars.
Du 13 avril au 10 septembre 1917, il passe au 25e régiment d’infanterie.
Les récupérés des classes 1913-1917
Pierre Goupil ne suit pas le sort de la classe 1917 car il est ajourné. Sinon, il aurait été appelé dès janvier 1916 avec les autres hommes de sa classe. Il appartient dès lors à ce que l’on appelle “les récupérés des classes 1913-1917”. Désormais, les hommes suivaient une instruction au dépôt du régiment avant d’être envoyés dans la zone des armées pour la poursuite de cette instruction, dans une unité d’instruction au front dénommée 9e bataillon. Les hommes de la 10e région militaire étaient envoyés notamment vers le 9e bataillon du 25e RI. Une fois l’instruction terminée, les hommes étaient envoyés en renfort en unité combattante, souvent dans un autre régiment, ce qui explique les changements d’affectations jusqu’à son envoi au combat.
Incorporés en août et septembre 1916, environ 83 000 de ces récupérés furent affectés dans l’infanterie.
Ces hommes furent théoriquement d’abord envoyés dans un camp d’instruction dans la région militaire du 15 novembre au 15 décembre pour sortir de la simple instruction au dépôt. L’envoi en unité d’instruction dans la zone des armées est prescrit par la circulaire 1370 I/II du 24 janvier 1917. Au 7 février 1917, ces hommes sont envoyés à Saint-Dizier : 4 officiers et 435 hommes au 9e bataillon du 25e RI. Pierre n’en fait pas partie, étant malade.
En lisant, un courrier du 9 mars 1917, émanant du Général Roques, Commandant la IVe Armée, destiné au Général Commandant en Chef, concernant ces “récupérés des classe de 1913 à 1917”, on peut comprendre pourquoi Pierre est tombé rapidement malade :
La valeur physique est au dessous de la moyenne et nettement inférieure à celles des hommes des classe de 1916 et 1917. La proportion des évacués atteint un taux considérable, et le nombre des malades est relativement élevé. La rigueur de la température au moment de l’arrivée du contingent dans les Centres d’Instruction est il est vrai, un des cause prédominantes du déchet constaté. (…) L’entraînement laisse à désirer pour les mêmes raisons, et aussi à cause de la faiblesse physique des récupérés (SHD 7 N 539, photo de A. Carobbi).
20 décembre 1917 : Blessure par éclat d’obus
Le 10 septembre 1917, il est affecté au 113e régiment d’infanterie
Alors que la fiche matricule de Pierre Goupil indique le 20 décembre 1917, une blessure par “plaie perforante oreille gauche par E.O. (éclat d’obus)”, le journal de marches et opérations (J.M.O.) n’indique que deux blessés, dont un sous-lieutenant. Mon grand-père peut être le deuxième blessé. Toutefois, nous savons que la tenue des J.M.O. peut comporter certaines erreurs. C’est pourquoi, je pense que le contexte de la blessure a plutôt eu lieu le 18 décembre. Il est fait mention d’un bombardement d’une rare violence sur la position de l’Enclume (secteur de Pontauvert, dans l’Aisne), alors que le régiment venait juste d’arriver en ligne. Ce jour-là, le 113e régiment d’infant perd 9 hommes, dont 7 disparus, et enregistre 14 blessés.
La perforation du tympan par éclat d’obus
Les soldats souffrant d’une perforation du tympan due à un éclat d’obus durant la Première Guerre mondiale enduraient une douleur intense, des saignements, une perte auditive, et des acouphènes. Sans soins rapides, ils risquaient des infections graves, des vertiges, et une aggravation de la perte auditive. Les mauvaises conditions sanitaires des tranchées, comme l’insalubrité et l’accès limité aux soins, augmentaient les risques de complications. À long terme, ces blessures pouvaient entraîner une perte auditive permanente et des séquelles psychologiques, affectant durablement la vie des soldats.
Le 9 juillet 1931, la commission de réforme de la Seine détaille les symptômes suivants :
- hypoacousie gauche par otite sèche
- tympan déprimé, avec cicatrice centrale rétractée
- vertiges
En 1933, viennent s’ajouter à ces symptômes, des bourdonnements.
14 octobre 1918 : Intoxication à l’ypérite (gaz moutarde)
Le 14 octobre 1918, sur le secteur de Olizy-Primat, Pierre est intoxiqué à l’ypérite. Il est évacué le 17 sur l’hôpital temporaire du Vésinet, puis vers le centre spécial de réforme de Rennes.
Utilisation des gaz de combat
L’utilisation des gaz de combat durant la Première Guerre mondiale a introduit une nouvelle forme de guerre chimique. Les Allemands ont utilisé pour la première fois du chlore à grande échelle en 1915, suivis par des gaz plus meurtriers comme le phosgène et l’ypérite (gaz moutarde). Ce dernier, déployé en 1917, provoquait de graves brûlures cutanées et était difficile à neutraliser. Il pouvait rester actif plusieurs jours, même après son utilisation. Les gaz étaient dispersés sous forme de nuages ou d’obus chimiques, et à la fin de la guerre, jusqu’à 35 % des munitions étaient des obus chimiques.
Les symptômes immédiats de l’exposition à l’ypérite incluaient des brûlures cutanées sévères, une cécité temporaire, des irritations des voies respiratoires entraînant une toux et des difficultés à respirer, ainsi que des nausées et vomissements. Les traitements disponibles à l’époque étaient limités : rinçage des yeux, pansements pour les brûlures, repos, et parfois oxygène pour soulager les troubles respiratoires. Ces traitements étaient souvent insuffisants. Environ un million de soldats furent victimes de ces attaques, laissant des séquelles durables.
Impacts à long terme sur la santé
Le gaz moutarde a des effets dévastateurs à long terme sur les soldats intoxiqués. Les premiers symptômes incluent des brûlures cutanées, des troubles oculaires et respiratoires, mais les conséquences chroniques peuvent être encore plus graves. Les victimes souffrent souvent de cicatrices cutanées, de modifications de la pigmentation, de troubles respiratoires chroniques (asthme, bronchite), et de lésions oculaires durables. Des affections graves comme l’insuffisance respiratoire et des cancers de la peau peuvent également se développer. Bien que des études n’aient pas établi de lien direct avec le cancer du poumon, l’impact sur la santé des victimes reste profond et permanent.
Jacquat, D. (2002, 1 avril). Fiche question : Les pathologies engendrées â court, moyen et long terme par le « gaz moutarde » . Assemblée Nationale. Consulté le 12 octobre 2024, à l’adresse https://questions.assemblee-nationale.fr/q11/11-74750QE.htm
Selon sa fiche matricule, Pierre Goupil a souffert d’un “scléro-emphysème pulmonaire léger, sans réaction bronchique”. La commission de réforme de 1931 le juge en bon état général.
Je n’ai pas connu mon grand-père, décédé en 1960, à l’âge de 62 ans. Toutefois, je sais qu’il marchait avec difficulté, s’aidant d’une canne.
En 1946, son fils aîné, Pierre, s’engage dan la Marine. Cette décision ne fut pas du goût de ma grand-mère, qui lui aurait reproché de la laisser seule pour s’occuper de son mari. En 1957, son état continue de se dégrader et l’empêche d’assister au mariage de sa fille.
Conclusion
En résumé, le parcours de mon grand-père fut le suivant :
- Instruction au dépôt du 136e RI = Zone de l’intérieur jusqu’en avril 1917.
- Envoi au 9e bataillon du 25e RI = Zone des armées mais unité non combattante qui ne suit pas le parcours du régiment. Avril à septembre 1917.
- Envoi en renfort au 113e RI : Zone des armées, unité combattante.
Plongé au cœur de la Première Guerre mondiale, Pierre découvre rapidement les dures réalités du conflit. La vie dans les tranchées est marquée par l’insalubrité, les intempéries, le manque de sommeil, et une hygiène déplorable. Les soldats comme lui vivent sous la menace constante des bombardements, des gaz toxiques tels que l’ypérite, et des attaques ennemies. À cela s’ajoutent des conditions alimentaires insuffisantes et un stress post-traumatique omniprésent, qui touche de nombreux soldats exposés à la mort jour après jour.
Sur 3 années d’engagement, mon grand-père passera près de 4 mois comme malade pour courbature et fébrilité (du 25 janvier au 15 mars 1917, puis du 20 mai au 27 juin 1918), blessé par éclat d’obus et intoxiqué au gaz. Est-ce beaucoup ? Est-ce peu ? Selon Erwan Le Gall, il est difficile de quantifier le rapport entre temps passé aux combats et temps d’hospitalisation, car :
Le problème de cette statistique qui nous manque tant c’est qu’elle ne peut pas être produite tant l’expérience de guerre résiste à toute tentative de modélisation.
Erwan Le Gall (@r1legall.bsky.social). (s. d.). Bluesky Social. https://bsky.app/profile/r1legall.bsky.social/post/3l63g7353dr2a
Merci à Erwan Le Gall, Dominique Camusso et Sylvaine Lenoir pour leurs échanges sur le sujet.
Sources
- Dossier médical de Pierre Goupil conservé au SAMHA, Service des Archives Médicales Hospitalières des Armées (No 22-13681CD).
- Berthel, B. (s. d.). Hôpital de campagne au front pour les secours, opérations et soins des poilus soldats blessés 14 18. Voyageur du Temps – https://www.voyageurs-du-temps.fr/Hopital-de-campagne-au-front-pour-les-secours-operations-et-soins-des-poilus-soldats-blesses-14-18_1060.html
- État-Major de l’Armée (Éd.). (s. d.). 136e régiment d’infanterie : J.M.O. 22 septembre 1915-17 août 1917 : Cote 26 N 689/18 [Numérique]. https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/ark:/40699/e00527961a6568e1/527961a67980b p. 27-43
- Anonyme. (1920). Historique du 136e Régiment d’Infanterie. Imprimeries Oberthur. https://horizon14-18.eu/wa_files/RI136_Histo.pdf Berthel, B. (s. d.).
- État-Major des Armées (Éd.). (s. d.-a). 25e Régiment d’infanterie : J.M.O. du 1er janvier-28 décembre 1917 : Cote 26 N 600/3 [Numérique]. https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/ark:/40699/e00527e437f915b5/527e437f953ea p. 22-80
- Historique du 25e Régiment d’Infanterie. (s. d.). [Numérique]. Librairie Chapelot. http://jburavand.free.fr/historiques RI/RI025_Histo.pdf
- Contributeurs aux projets Wikimedia. (2024, 7 octobre). 25e régiment d’infanterie (France). Wikipedia. https://fr.wikipedia.org/wiki/25e_régiment_d’infanterie_(France)#1917
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- État-Major des Armées (Éd.). (s. d.-b). 113e régiment d’infanterie : J.M.O. du 1er janvier-22 septembre 1917 [Numérique]. https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/ark:/40699/e005280adfed0c37/5280ae0c1345c p. 52-53
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- État-Major des Armées (Éd.). (s. d.-c). 113e régiment d’infanterie : J.M.O. du 11 août 1918-27 septembre 1919. https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/ark:/40699/e00527a979cbe01f/527a979cc04b9
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- Carobbi, A., & Carobbi, A. (2024, 23 mars). Zone de l’intérieur et zone des Armées – 2024. Parcours du combattant de la guerre 1914-1918 – De l’Histoire, rien que de l’Histoire. https://parcours-combattant14-18.fr/zone-de-linterieur-et-zone-des-armees/
- Collectif de Recherche International et de Débat sur la guerre de 1914-1918. (s. d.). http://crid1418.org/doc/bdd_cdd/unites/DI125.html#RI113
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- Guerre de 1914. Hôpitaux militaires temporaires – WikiRennes. (s. d.). https://www.wiki-rennes.fr/Guerre_de_1914._Hôpitaux_militaires_temporaires
- Jacquat, D. (2002, 1 avril). Fiche question : Les pathologies engendrées â court, moyen et long terme par le « gaz moutarde » . Assemblée Nationale. https://questions.assemblee-nationale.fr/q11/11-74750QE.htm
- Lejaille, A. (2003). Les vésicants. La Guerre des Gaz. http://www.guerredesgaz.fr/lesgaz/vesicants/vesicants.htm Avertissement : images sensibles