Comment un père peut abandonner son enfant ? Il suffit d’une décision pour bouleverser plusieurs vies. Histoire d’un abandon à Paris au début du XXe siècle.
A comme Abandon, mais aussi comme Avant-propos. Car c’est ainsi que tout a commencé, pour lui, et pour moi.
Pour lui, c’était le cinq septembre 1910. Pour moi, c’était en 1995. Notre point commun ? Son père, Louis, qui sera l’objet de ce challengeAZ.
Lui, vous le connaissez. Il s’appelait Marcel, c’était mon grand-père. J’ai déjà évoqué son destin sur ce blog.
Vous allez maintenant découvrir Louis, en même temps que moi. De cet arrière-grand-père, je ne savais que peu de choses, issues du dossier de l’Assistance de mon grand-père, et des quelques recherches généalogiques que j’avais menées à son sujet.
Pourquoi le choisir comme sujet ? Parce que j’ai toujours eu le sentiment que ce personnage me réserverait des surprises. Parce que c’est aussi grâce, ou à cause, de lui, que j’ai commencé à faire des recherches généalogiques. J’ai découvert ma généalogie en voulant comprendre comment un enfant abandonné pouvait être en possession du livret de famille de ses parents.
Abandon d’enfant
Paris, le cinq septembre 1910. Un père et son fils parcourent ensemble les cinq kilomètres qui changeront à jamais, la vie de toute une famille. Qu’a-t-il dit à son fils pour le faire patienter pendant cette promenade ? L’ont-ils faite à pied ? Ont-ils interpellé un cocher ?
Marcel a-t-il compris ce qui se passait quand son père glissa dans sa blouse en lainage à raies bleu et blanc, la lettre qui scellera son destin ? A-t-il deviné, du haut de ses six ans, ce qui se cachait derrière ces lourdes portes ?
Incompréhension, angoisse, et peut-être terreur. Des sentiments éprouvés par Marcel, lorsqu’il se retrouva seul dans le vestibule des admissions. Abandonné par son père qui s’enfuit, son acte accompli. Il ne pouvait attendre son tour, dans cette petite pièce ouverte sur la salle des abandons, occupée par plusieurs employés. Il aurait dû répondre à plusieurs questions au commis qui demandait le bulletin de naissance de l’enfant, et posait une multitude de questions (1).
A cet instant, le lundi cinq septembre 1910, à 17 heures, Marcel devint un enfant abandonné, grossissant malgré lui les rangs de ces enfants sans aucun moyen de recours offert par leur famille.
En 1904, pour 3 784 enfants abandonnés, seuls 404 étaient des enfants trouvés.
Malgré le geste de son père, Louis, Marcel n’était pas seul pour autant. Sa mère, Marie, était placée domestique depuis près de deux mois dans un hôtel meublé, au 72 rue des Amandiers à Paris. Elle gagnait 40 francs par mois.
Divorcée depuis 1908, elle avait la garde de son fils, mais elle avait confié ce dernier à ses parents lorsqu’elle avait été engagée dans cet hôtel.
Les conditions de la prise en charge du petit Marcel par son père sont floues. Selon le premier rapport de police établit suite à l’abandon de l’enfant dans le vestibule, les grands-parents avaient demandé au père de l’enfant de leur venir en aide, mais, ayant essuyé un refus, ils s’étaient vu dans l’obligation de lui rendre son enfant, le cinq septembre, c’est-à-dire le jour-même où le jeune Marcel a été présenté à l’Hospice. Toutefois, le dossier de Relations d’Enfant, établi en 1925, indique que “les parents du pupille étaient divorcés. C’est au cours d’une des visites obligatoires au père, que celui-ci aurait emporté l’enfant, et fait le placement”.
Bien qu’elle en ait fait la demande, Marie n’a pu reprendre son enfant, ses conditions de vie, ainsi que celles de ses parents avaient été jugées insuffisantes. Des nouvelles de son enfant lui ont été données jusqu’en 1911. Marie ne se remit jamais de ce drame. Elle tomba malade et décéda en 1915. Sa mère continua à prendre des nouvelles de Marcel, son petit-fils. Selon la loi de 1904, si le lieu de placement du pupille devait rester secret, la mère de l’enfant ou la personne qui l’a représenté pouvait être renseignée à des époques fixes sur l’existence ou la mort de l’enfant (1).
Une autre personne que la mère, et la grand-mère de Marcel venait prendre de ses nouvelles. Qui était-elle ? Etait-ce Louis ? Le mystère demeure.
Sources
Passion Luc. Législation et prophylaxie de l’abandon à Paris au début du XXème siècle. In: Histoire, économie et société, 1983, 2e année, n°3. pp. 475-496. doi : 10.3406/hes.1983.1339 http://www.persee.fr/doc/hes_0752-5702_1983_num_2_3_1339
Préfecture de Police de Paris, 1e division, 5e bureau, n° 62.003-E. Lettre du Préfet de Police à Monsieur le Directeur de l’Assistance Publique, datée 7 novembre 1910.
Bonjour Sophie,
Cet article est fort émouvant, il faut du courage pour évoquer des histoires intimes et douloureuses.
Grâce à un arbre que j’ai publié sur généanet, j’ai été contactée par le descendant d’un enfant abandonné qui a ainsi retrouvé la famille de son AGM.
Beaucoup de douleur, même aujourd’hui, suite à cet abandon. La généalogie aide à se construire c’est sûr.
Ce qui est difficile, c’est de ne pas rentrer dans le pathos. Nous ne sommes que des observateurs lointains.
Belle histoire que la tienne aussi. Comme quoi, la publication en ligne, si elle a quelques inconvénients, a aussi beaucoup d’avantages.
J’ai été très émue par ce premier billet
Voilà une histoire bien émouvante et fort bien écrite. Les abandons d’enfants que nous rencontrons lors des recherches, nous laissent toujours un goût amer … même quand ils sont très anciens.
Et j’apprécie aussi beaucoup les sources du billet. Bon courage pour la suite.
Merci Marie.
Passionnant. J’ai un ancêtre avec un parcours hallucinant dans l’abandon également. Je l’évoquerai aussi dans le challengeAZ cette année. J’ai hâte de lire la suite.
Merci Laure. L’abandon est une étape importante dans beaucoup de nos généalogies.
C’est une histoire émouvante et bien triste. J’attends la suite ! Merci d’être passée sur ma fenêtre.
Chère Sophie,
L’avant-propos est triste mais très alléchant ! Pas facile de se lancer dans des recherches qui par définition vont être difficiles ! Hâte de lire la suite !
Très touchée par cet article. Les abandons d’enfants me laissent toujours dans une perplexité extrême et dans un questionnement intense, tant vis à vis du ressenti de l’enfant abandonné que vis à vis de celui qui abandonne. Difficile de se mettre “à la place de” quand on n’a pas soi-même vécu cette situation… Et une pensée aussi pour Marie, qui n’a pas eu son mot à dire…
(J’espère que ce commentaire ne sera pas publié “en double”, c’est ma deuxième tentative, cela semble bloquer je ne sais où).
C’est passionnant et tellement émouvant…. J’avais pensé faire le challenge sur mon arrière-grand-mère paternelle placée dès sa naissance aux enfants abandonnés de la Seine… mais…… j’ai reculé!!!!!
Alors je vais lire et apprendre et découvrir de nouveaux documents à lire…..
Merci…..
Merci Marie-Odile. Le challenge portera sur mon arrière-grand-père. J’ai traité l’abandon dans la biographie de mon grand-père.
Très émouvant, hâte de lire la suite !
Merci Elodie. Voilà plus de vingt ans que je connais l’histoire, et je découvre encore de nouvelles choses. Comme quoi, il ne faut pas hésiter à revenir sur ses pas.
Mon pere, lui, a ete abandonne par….sa mere! et je crois qu’il n’en est pas encore remis, plus de 85 ans plus tard. Comment pourrait-il oublier et se reconcilier avec un acte si horrible? J’attends la suite de cette histoire avec impatience, car j’espere que contrairement a mon pere, Marcel a su pardonner et a pu decouvrir son pere. Annick H.
Merci Annick. Il est impensable d’essayer de se mettre à la place de ceux qui ont vécu cela. Je ne pense pas que mon grand-père ait revu son père. Il a revu sa grand-mère, qui a toujours pris des nouvelles de lui, en 1925. J’espère qu’elle a pu lui expliquer pourquoi ils avaient contacté son père. En tout cas, il a conservé le livret de famille de ses parents.
Bonjour Sophie,
Je dois dire que je suis assez étonné de te voir écrire dans ce registre mais ça te va bien. Je te mets dans mes favoris, ton Challenge m’intéresse vivement. Sur le sujet, mon ancien directeur de recherches a beaucoup travaillé et je te suggère l’un des ouvrages publiés sur cette question : J.P. Bardet et G. Brunet, Noms et destin des enfants abandonnés en Europe, XVII°-XX° siècles. Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2007, 401p.
Ou encore, G. Brunet, Aux marges de la famille : filles-mères et enfants assistés à Lyon au XIX° siècle. Paris, L’Harmattan, 2008, 246p. bien que l’étude ne concerne que Lyon.
Au plaisir,
Guillaume
Merci Guillaume pour ton commentaire. Je suis la première à le dire, le challengeAZ est l’occasion de sortir de sa zone de confort ! Ces recherches me tenaient à coeur depuis longtemps, ainsi que cette écriture. C’était le moment de me lancer.
Je note tes recommandations avec beaucoup d’intérêt.