Henri Albin Grenier ou les hasards de la généalogie

Les photos de famille dorment souvent dans nos placards. Un jour, nous ouvrons la boîte. Nous regardons ces photos qui semblent nous chuchoter une histoire. Alors, nous les écoutons. Nous recoupons ce qu’elles nous disent avec ce que nous savons. Et, au final, nous sommes récompensés.

Je vais vous raconter l’histoire d’une photo, celle de la rencontre de Marcel Quévrain et de Monsieur Grenier. Attention, ce n’est peut-être pas une simple histoire…

Cette photo fait partie des photos de famille d’Anne-Marie Quévrain. À gauche, son père, Marcel Quévrain. À droite, un certain Monsieur Grenier.

Le dos de la photo nous apprend la date de la prise de vue, ainsi que le lieu : décembre 1916, navire Odessa, croiseur auxiliaire de 1re classe.

Les deux écritures ne sont pas les mêmes. Qui a ajouté les précisions sur le navire ? Anne-Marie, après que son père lui ai parlé de son voyage de Marseille à Philippeville en décembre 1916 et de son retour en mars 1917 ? Emile Jean-Baptiste ? Emile Achille ? Les deux frères de Marcel ?

Le 72e RI CHR

Marcel Quévrain a combattu dans le 72e régiment d’infanterie, compagnie hors-rang. Récompensé de La Croix de guerre avec étoile de bronze, il a reçu la citation suivante :

Sur le front depuis le début de la campagne, a en maintes circonstances, comme cycliste, assuré des liaisons et dangereuses, avec beaucoup de dévouement et de sang-froid.

« Quévrain , Marcel Léon , Matricule 1593 – Seine 4e bureau – Archives de Paris », 1908. https://bit.ly/3XSjY1S

Le 15 décembre 1916, deux-tiers de la compagnie hors-rang du 72e RI, embarquent sur le Ville de Madrid. Ils arriveront le lendemain à Philippeville, en Algérie.

Le 23 mars 1917, la CHR quitte Philippeville à bord du croiseur russe l’Odessa.

Il semble donc y avoir une incohérence entre les deux informations notées au dos de la photographie. Toutefois, bien que le journal des marches et opérations indique que les deux-tiers de la CHR ont embarqué à bord du Ville de Madrid, je ne sais pas le nom du navire sur lequel a embarqué le tiers restant.

Grâce au forum Pages 14-18, je sais que l’Odessa a transporté des troupes d’Alger à Salonique (actuellement Thessalonique, Grèce) entre le 18 et le 23 novembre 1916, puis de Marseille à Salonique entre le 21 et 28 décembre 1916. Est-ce qu’entre les deux, il aurait fait un voyage Marseille – Philippeville, avec le tiers de la compagnie hors rang du 72e RI ?

Qui est Monsieur Grenier ?

Ma belle-mère est la mémoire de la famille. Pour connaître l’histoire d’une photo, il suffit de lui demander. Ainsi, concernant celle-ci :

“Quant au soldat à côté de mon Papou sur le bateau, il s’agit de Monsieur Grenier, habitant Pontarlier. Là aussi, se sont créés des liens amicaux ; ils ne se connaissaient pas avant la guerre et ensuite, les 2 familles ont été très amies. Maman considérait les filles Grenier, Jeanne et x comme 2 cousines.”

Pour retrouver Monsieur Grenier, j’ai donc les informations suivantes :

• À bord du navire Odessa en décembre 1916
• Habite Pontarlier (Doubs) → Originaire ?
• A eu deux filles, probablement du même âge qu’Anne-Marie.

Une recherche sur le site du Grand Memorial des soldats recrutés à Pontarlier, me met rapidement sur la piste d’un certain Henri Albin GRENIER.

Sa fiche matricule précise qu’il était au 260e régiment d’infanterie jusqu’au 15 mars 1918, puis il intègre le 85e régiment d’artillerie lourde.

Le 15 octobre 1915, le 260e RI embarque à bord du navire Lutetia. Il débarque 6 jours plus tard, à Salonique.

Je retrouve son arbre sur Geneanet. Sa fiche est suffisamment détaillée pour me permettre de confirmer qu’il s’agit de de la bonne personne. En effet, la fiche précise que Henri Albin Grenier a eu deux filles, dont l’une est prénommée : Jane Marie Louise. Jane est née en 1922, Anne-Marie Quévrain en 1918.

À partir d’octobre 1916, les permissions furent étendues à 10 jours, trois fois par an, pour les soldats sur le Front d’Orient. Je pense donc, que Henri Grenier rentrait de permission, quand il a été pris en photo aux côtés de Marcel Quévrain.

Les surprises de la généalogie

Au début de ce billet, j’écrivais qu’il ne s’agissait pas d’une simple histoire de recherche. C’est aussi l’histoire de la rencontre de deux familles, Quévrain et Grenier.

Lorsque j’ai retrouvé la fiche de Henri Albin sur Geneanet, j’ai pris contact avec Christophe Grenier, l’auteur de l’arbre, pour lui proposer de lui envoyer la photo. J’expliquais également dans mon message, comment j’étais arrivée jusqu’à lui.

Très rapidement, il me répond qu’il veut bien cette photo. Son grand-père, Albert Grenier, est mort jeune, et il a très peu d’informations sur cette partie de sa famille.

Christophe conclut son message en me demandant si j’ai un lien avec Vincent Boudarel, qui a travaillé il y a quelques années dans telle société. En effet, c’est mon mari. Il se souvient également de son ancien collègue.

Cent ans plus tard, les hasards de la généalogie et de la vie ont de nouveaux réuni les deux familles.

☞ Sources et bibliographie

« Quévrain , Marcel Léon , Matricule 1593 – Seine 4e bureau – Archives de Paris », 1908. https://bit.ly/3XSjY1S

Historique du 72e régiment d’infanterie pendant la campagne 1914-1918, 1920. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62266695.

Mémoire des Hommes. « 72e régiment d’infanterie : J.M.O. 8 décembre 1916-15 juin 1917 ». Consulté le 3 décembre 2022. https://bit.ly/3XQIal7

« ODESSA – Navire auxiliaire – Page 3 – Forum PAGES 14-18 ». Consulté le 24 novembre 2022. https://forum.pages14-18.com/viewtopic.php?t=44158&start=20.

« GRENIER, Henri Albin, Matricule 1052 – Pontarlier – Archives du Doubs », 1905. https://portail-archives.doubs.fr/ark:/25993/sqfgbm2v0rkp/1049816c-fa6d-4d49-a692-5e18d9e1122e.

Historique des 85e et 285e régiments d’artillerie lourde à tracteurs automobiles : Campagne 1914-1918, 1920. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6262273j.

Historique du 260e régiment d’infanterie pendant la guerre 1914-1918, 1918. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62287323.