La presse est une source incontournable en généalogie. État-civil, nécrologie, diplôme, décoration… Votre ancêtre peut être mentionné dans la presse pour ces événements. Vous pouvez aussi les retrouver dans les compte-rendus des tribunaux. C’est le cas de Pierre Marie Saisdubreil et de trois poules.
Lorsque j’ai commencé à chercher les membres de la famille Saisdubreil dans la presse, je ne m’attendais pas à une telle variété de découvertes. Il y a eu les annonces légales, des concours de costumes ou des drames du quotidien.
Dans l’affaire qui nous occupe, nous retrouvons des Saisdubreil et des Halocher, mais pour une toute autre raison. Cette fois, ils se volent dans les plumes.
Une bataille
“La Dépêche bretonne” du 7 juin 1902, nous relate un jugement du Tribunal correctionnel de Rennes, sobrement intitulé “Une bataille”.
Le récit est assez complet. Toutefois, la consultation du jugement nous donne un peu plus d’informations. Tout d’abord, de qui s’agit-il ?
D’un côté, nous avons Pierre Marie Saisdubreil. Il est le petit-fils de mon ancêtre Pierre Saisdubreil (génération 7). Il se marie tard, à l’âge de 41 ans, avec Jeanne Marie Beaulieu. Le couple aura quatre enfants, dont deux décéderont en bas âge. Pierre Marie est né au hameau de La Ribertière, commune de La Bouëxière (35), et y habitera avec sa famille jusqu’en 1906.
De l’autre côté, Pierre Marie Halochet et son épouse Marie Perrine Heulot. Tous deux sont aussi originaires de La Bouëxière et habitent La Ribertière depuis leur mariage en 1901.
Si les familles ne sont pas directement liées par le sang, elles se connaissent et se fréquentent depuis plusieurs générations.
Du sang et des plumes
Que ce soit chez les Saisdubreil ou les Halochet, les poules ne sont pas enfermées. Elles picorent et se déplacent, sans tenir aucune notion de la propriété privée. Ce qui n’est au goût de personne, surtout pas de Pierre Marie Halochet. Que s’est-il passé le 27 avril ? À bout de patience, ou de nerfs, fatigué de voir, encore, les poules Saisdubreil divaguer sur son lopin de terre, Halochet empoigne son fusil et tire à vue sur trois poules de son voisin.
S’ensuit alors une bataille rangée où les deux hommes empoignent le fusil. Leurs épouses se crêpent le chignon. Pendant un court instant, les Saisdubreil prennent le dessus en entraînant Halochet dans le fumier. Mais, voulant reprendre le chapeau de son mari, Jeanne Marie Beaulieu est violemment jetée à terre par son voisin. Son mari vient lui porter secours et il s’ensuit une nouvelle salve de coups.
Coups et blessures
Les deux couples sont condamnés pour coups et blessures. Conformément aux articles 55 et 311 du Code pénal, ils ont été chacun condamnés à payer 16 francs d’amende.
- Article 55 du Code pénal (1810) Tous les individus condamnés pour un même crime ou pour un même délit, sont tenus solidairement des amendes, des restitutions , des dommages-intérêts et des frais.
- Article 311 du Code pénal (1810) Lorsque les blessures ou les coups n’auront occasionné aucune maladie ni incapacité de travail personnel, de l’espèce mentionnée en l’article 309 , le coupable, sera puni d’un emprisonnement d’un mois a deux ans, et d’une amende de seize francs à deux cents francs. S’il y a eu préméditation ou guet-apens, l’emprisonnement, sera de deux ans à cinq ans, et l’amende de cinquante francs à cinq cents francs.
Comme il s’agit d’une première condamnation et que “les renseignements fournis sur leur compte sont favorables”, ils sont concernés par l’application de l’article premier de la loi du 26 mars 1891.
Les lois Béranger
Les lois Béranger (1885 et 1891) avaient pour but d’éviter la récidive en instituant la crainte d’une punition. L’article premier de la loi de 1891 stipule :
En cas de condamnation à l’emprisonnement ou à l’amende, si l’inculpé n’a pas subi de condamnation antérieure à la prison pour crime ou délit de droit commun, les cours ou tribunaux peuvent ordonner par le même jugement et par décision motivée qu’il sera sursis à l’exécution de la peine. Si, pendant le délai de cinq ans à dater du jugement ou de l’arrêt, le condamné n’a encouru aucune poursuite suivie de condamnation à l’emprisonnement ou à une peine plus grave pour crime ou délit de droit commun, la condamnation sera comme non avenue.
La crainte de la punition semble avoir été la plus forte. Pierre Marie Saisdubreil et sa femme, Jeanne Beaulieu, déménagèrent pour s’installer au hameau de La Mésandais, à 3 kilomètres.
Une question demeure : qui a ouvert les hostilités ?
La presse nous apporte encore une fois un élément de réponse. En 1908, Pierre Halocher décède à Maure-de-Bretagne. Sa mort fait l’objet d’un entrefilet dans l’édition rennaise de L’Ouest Éclair en date du 15 décembre 1908. Il fut retrouvé dans un fossé, face contre le sol. Le médecin qui l’a examiné en a conclu qu’il était mort de congestion (La Dépêche bretonne, 20 décembre 1908, Gallica).
Néanmoins, cette fin tragique un aspect de la personnalité du cantonnier.
En effet, l’entrefilet nous apprend que le cantonnier était à Maure car, en disgrâce. Qu’a fait Pierre Halochet pour être envoyé à près de 60 kilomètres de sa commune d’origine (L’Ouest Éclair, 15 décembre 1908, Gallica) ?
A-t-il tiré les poules des Saisdubreil sans sommation ? Pierre Saisdubreil a-t-il laissé intentionnellement divaguer ses poules ?
Bien que la presse nous apporte un éclairage sur nos ancêtres, il reste des questions auxquelles eux seuls pourraient répondre.
Pour aller plus loin :
Jean-Lucien Sanchez, « Les lois Bérenger (lois du 14 août 1885 et du 26 mars 1891) », Criminocorpus [En ligne], Histoire de la criminologie. Autour des Archives d’anthropologie criminelle 1886-1914, 3. Criminologie et droit pénal, mis en ligne le 01 janvier 2005, consulté le 15 décembre 2021. URL : http://journals.openedition.org/criminocorpus/132
Encore une drôle d’histoire.
C’est pour ça que j’adore la presse ancienne : ces faits divers. Une bataille rangée pour une entrée par effraction de poules, c’est génial quand on y pense. Et ton article nous permet de visualiser parfaitement la situation, accompagné d’éléments complémentaires ; on s’y croirait ! Merci 🙂
Merci Thomas pour ton commentaire. Il y aurait matière à en faire une petite vidéo avec bruitages 😂
Les querelles de voisinage tournant au vinaigre ressortent comme ici du droit pénal.
Sur le plan du droit civil le code civil donnait le droit à celui sur la propriété duquel venaient picorer les poules du voisin de tuer lesdits animaux en divagation à condition de les enterrer sur place…
Pour extrême qu’elle soit cette solution paraît appropriée car les volatiles d’autrui se nourrissant sur la propriété d’autrui causent un trouble anormal de voisinage auquel il est logique qu’il y soit mis fin.
Évidemment avant d’en arriver là il est conseillé d’essayer de prévenir le voisin en question de prendre ses dispositions pour éviter un tel sort à ses animaux !
Trop drôle cette histoire de poules …tu le racontes tellement bien que j’ai l’impression d’avoir vu la scène . Hâte de lire ta prochaine histoire Sophie !
Merci Marielle. Ton commentaire me touche 🙏🏻
Ah ces bretons et bretonnes! ( j’ai un quart breton). jJai toujours pensé en traversant des hameaux – il y en a beaucoup en Berry où je vis) que la vie devait parfois y être un enfer entre voisins…..
Bonjour,
Moi aussi, je suis un quart bretonne!!
Mon côté têtue, ,comme dit mon mari.
Sinon, très bien décrit, çà mériterait une BD ( Style Astérix et Obélix)
Merci Catherine pour votre commentaire. C’est vrai qu’en lisant le compte-rendu judiciaire, on visualise très bien la scène. Heureusement que cela reste du niveau d’une querelle de voisinage, car la bataille pour le fusil aurait pu très mal finir. La presse ancienne et la justice nous permet de voir que nos ancêtres n’étaient pas lisses !
Et oui, les querelles de voisinage ne datent pas d’aujourd’hui ! Et je suis sûre qu’il n’y a pas que les Bretons qui ont le sang chaud !
Bonjour…quelle histoire de poules..j ai adoré….j adore vos récits.. joyeuses fêtes de Noël à vous…
Merci beaucoup pour votre gentil commentaire. Belle fin d’année à vous également.